Anne Marie Idrac
Anne-Marie Idrac

« Il faut passer à l’exploitation des navettes »

Avec sa double casquette, l’ancienne ministre Anne-Marie Idrac fait le lien entre navettes autonomes, ZFE et logistique urbaine. En fin d’année, elle rendra ses propositions consistant à cadrer les cas d’usage des navettes autonomes, essentiellement dans le transport public, mais pas seulement. Ensuite, ce sera l’épreuve de vérité pour ce type de mobilité.

Propos recueillis par Marc Fressoz

Mobily-Cités : Vous allez remettre à jour la stratégie nationale sur le véhicule autonome pour affiner les débouchés. Quels sont-ils ?

Anne-Marie Idrac : J’ai commencé à m’occuper de la stratégie nationale de développement du véhicule autonome en 2017, et les ministres m’ont demandé de remettre à jour cette stratégie en principe pour décembre 2022 ou janvier 2023. Il s’agit entre autres d’affiner les cas d’usage. Il existe une voie qui consiste à rendre les voitures de plus en plus automatiques sur des sujets comme les distances, le freinage ou pour le parking. Cette voie continue d’être développée par les constructeurs automobiles ou les équipementiers. La voie sur laquelle il y a le plus d’interventions des pouvoirs publics, c’est celle des navettes. Sur le plan réglementaire, on dispose maintenant d’un cadre qui permet de faire circuler des navettes sans conducteur à bord, et au point de vue socio-économique, on voit se développer des possibilités de services en complément du transport en commun sur des horaires différents ou sur des itinéraires complémentaires. Les collectivités locales s’intéressent de plus en plus à ces cas d’usage dans une optique sociale d’intégration dans les politiques locales. Nous l’avons constaté lors d’un séminaire au mois d’octobre auquel a participé le ministre des Transports, Clément Beaune. Nous mesurons tous les six mois avec une étude l’acceptabilité des navettes, qui évolue positivement.

Quelles sont les possibilités dans le domaine des marchandises ?

On voit également apparaître quelques cas d’usage logistiques qui sont assez différents, puisque on parle surtout de zones fermées comme les ports, les aéroports, les entrepôts logistiques où il pourrait y avoir, comme en Asie et aux Etat Unis, des services de logistique urbaine avec des robots livreurs. Pour l’instant, il n’y a qu’une seule expérimentation en France, à Montpellier. La Poste opère des livraisons de colis à l’aide de petits robots conçus par une entreprise française, TwinswHeel.

Que ce soit pour les personnes ou pour les marchandises, on en est toujours au stade des expérimentations. Comment aller plus loin ?

Il est certain qu’il va falloir passer à la vraie grandeur car aujourd’hui, partout, et pas seulement en France, ce sont des expérimentations qui sont menées. Il s’agira de voir dans quel cas d’usage, et surtout dans quel contexte socio-économique, on peut franchir l’étape. Nous allons chiffrer dans cette remise à jour de la stratégie nationale le nombre de services de navettes qui pourrait être opérés dans 5 ans.

On est tout de même retombé sur terre après les rêves d’autonomie complète (niveau 5). Comment pourraient être exploitées ces navettes ?

Plus personne ne croit au niveau 5. On est revenu à des choses beaucoup plus raisonnables et réalistes. Cet été, l’ONU a adopté une réglementation qui limite à 60 km/h sur voie réservée la vitesse d’un véhicule autonome de niveau 5. Qui va aller à 60 km/h sur l’autoroute ? Ce qu’on envisage, ce sont des services de navette, en général sur voie réservée mais pas forcément. Il existe quelques exemples d’expérimentations en milieu rural sur le réseau routier, sur une voie réservée sans qu’il s’agisse de sites propres.

Justement, que pensez-vous de la voie explorée dans la Drôme par un opérateur, Bertolami, qui envisage d’utiliser une navette autonome pour un usage mixte voyageur-colis ?

Je trouve excellente cette idée de transporter des marchandises en même temps que les gens, d’autant plus qu’il s’agit de milieu rural. Cela dit, quand on y réfléchit dans le détail, ce n’est pas si simple en raison d’un certain nombre de normes, de confort, de sécurité, etc.

La démarche part du principe qu’il n’y pas de modèle économique pour l’exploitation de navettes autonomes et qu’il faut trouver des revenus annexes. D’ailleurs, personne n’a encore osé faire payer l’utilisation de cette forme de mobilité. Qu’en pensez-vous ?

En réalité, les navettes sont aujourd’hui gratuites car il ne peut pas en être autrement dans le cadre d’expérimentations. En exploitation, la plupart des modèles économiques envisagés découlent du cadre traditionnel du transport public avec l’intégration d’un service de navette autonome dans la délégation de service public, par exemple pour desservir les quartiers périphériques, pour fonctionner le soir, ou les jours de marché. C’est un modèle qui nécessite beaucoup d’argent car chacun sait qu’en France, l’usager paye peu le transport collectif.

Des collectivités manifestent une grande envie, mais ne craignez-vous pas que la crise financière contrarie cet élan ?

Nous avons procédé à des analyses des attentes des collectivités locales et spontanément, le premier sujet qui ressort, ce ne sont pas les sujets techniques ni même financiers, mais plutôt : Comment est-ce que mes concitoyens vont le prendre ? Donc, est-ce qu’ils vont trouver ça utile ? Est-ce que ça va être bon pour l’image de mon territoire ?

La navette autonome constitue une petite fraction du sujet de la mobilité en ville, alors que les ZFE représentent un casse-tête tant pour les particuliers que pour les transporteurs. Avec votre casquette de présidente de France logistique, vous avez alerté sur plusieurs points. Quels sont-ils ?

Les élus locaux commencent à se rendre compte que la logistique urbaine en général et les ZFE en particulier sont des sujets extrêmement importants. Lors d’un colloque à la maison de la Chimie, à Paris, David Belliard, l’adjoint à la maire de Paris chargé des Mobilités, a souligné que Paris avait moins de 3 jours d’autonomie alimentaire. De même, il faut assurer une fluidité pour pouvoir alimenter une centaine de chantiers pour le Grand Paris. La fédération des entreprises de logistique TLF a fait une analyse très éclairante des ZFE. Sur la Métropole de Lyon, les Crit’Air 2 qui seront interdits en 2026 représentent plus de 100 000 véhicules légers et environ 20 000 poids lourds. À Paris, cela représente plus de 325 000 véhicules légers et 65 000 camions.

La majorité des transporteurs ont des camions diesel, et il faut aussi englober les entreprises qui font du transport pour compte propre, les artisans qui roulent en utilitaires, les commerçants qui vont sur les marchés.

Il ne s’agit pas de dire que ce ne sera pas possible d’appliquer les ZFE, mais il faut saluer un début de prise de conscience des élus. Certains, entrainés par leur élan, sont allés plus vite que la musique technique, en tout cas pour ce qui concerne les camions. L’horizon n’est pas très clair. On disait il y a quelques années que le gaz allait être une énergie de transition, cela n’est pas si facile. La règle la plus simple nous semble être de continuer à autoriser les camions aux dernières normes européennes, les Euro 6, considérant que c’est ce qu’il y a de mieux du point de vue environnemental. Les camionnettes ou les camions de taille intermédiaire vont pouvoir devenir électriques d’ici quelques années, sous réserve d’un maillage suffisant en bornes de recharge.

Le partage de l’espace en ville entre transport de personnes et transport de marchandises mais aussi la concurrence entre modes, créent des tensions. Pensez-vous qu’on est allé trop loin notamment en matière de places de livraison ?

Je ne suis pas sûre qu’elles se raréfient. Dès que les élus locaux commencent à s’occuper de logistique urbaine, notamment dans le cadre du programme InTerLUD, les sujets de stationnement apparaissent comme importants. Parfois, et c’était le cas au début de la démarche à Paris, les élus considèrent qu’il faut moins de place pour les camions et les camionnettes. En réalité, c’est le contraire. Une politique de logistique urbaine ne peut pas se déployer sans places de stationnement réservées, qui sont très importantes pour éviter que la circulation se bloque. On peut imaginer le recours à des technologies permettant de réserver sa place, mais les bases juridiques ne sont pas encore acquises pour assurer le contrôle.

France Logistique incite les élus à harmoniser les réglementations qui compliquent le travail des professionnels. Par quel bout commencer ?

C’est très difficile d’harmoniser, parce que les élus locaux ont chacun leur approche en fonction de leur population. La disparité des règles ne facilitant pas la vie des opérateurs, il faudrait que, au minimum au sein d’un établissement public de coopération intercommunale, les règles soient les mêmes pour deux communes adjacentes. L’exemple de la Métropole du Grand Paris montre cette complexité. Au-delà des horaires d’accès, il est nécessaire de travailler également sur l’harmonisation des aides à la conversion des véhicules. Cela vaut aussi dans le cadre des ZFE. Il existe un certain nombre d’aides pour les collectivités locales, dont il faut s’occuper. Il faut les financer. Beaucoup de collectivités locales se mettent à subventionner les camions, les camionnettes, l’Etat de son côté lance des appels d’offre, des appels à projets, distribue des bonus. Il est compliqué pour les transporteurs et pour les utilisateurs de véhicules légers de ne pas disposer d’un guichet unique.

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