
Philippe TABAROT
Sénateur des Alpes-Maritimes
" Si la transition exclut, nous faillirons "
Si l’Europe s’est fixé des objectifs ambitieux avec la réduction de 55% de ses émissions de GES d’ici à 2030, les financements ne sont pas au rendez-vous. Or, la priorité n’est pas de concourir au prix de vertu écologique, mais de réconcilier économie et environnement pour garantir l’acceptabilité de la transition.
Saisira-t-on l’occasion de jeter les bases d'un sentiment d'appartenance citoyen au projet européen environnemental dans les échanges actuels sur le paquet climat ? Le Fit for 55 vert aspire à accélérer la transition écologique et à faciliter la (ré)industrialisation verte par l'orientation massive des investissements vers les industries bas-carbone.
Nous le savons tous, le changement climatique est porteur de conséquences dramatiques dont l’étendue est sans doute encore sous‑estimée. Au Sénat, nous militons pour que ce cadre européen conserve le caractère impérieux de l'atteinte de l'objectif de 55 %, que nous avons souhaité, à notre initiative de manière transpartisane, inscrire dans l'article 1er de la loi Climat. Ce cadre doit permettre de créer la réflexion sur le financement de la transition écologique. Car en l’état, la stratégie européenne ne répond pas aux besoins structurels de financements, notamment publics, induits par la transition vers une économie neutre en carbone.
L’enjeu est donc humanitaire, la réponse doit être politique, notamment sur la question cruciale des transports, qui représentent 30% des émissions de GES en Europe et demeurent le seul secteur qui n’a pas réduit ses émissions depuis 1990. Le transport est particulièrement concerné par le paquet Fit for 55, car il joue une grande partition dans la mise en musique des objectifs climatiques.
J’y vois, comme tous les opérateurs de transport, une opportunité clé.
A travers la révision des règles de taxation, le développement des infrastructures pour carburants alternatifs, la mise en place d’un fonds pour soutenir la transition, l’opportunité existe pour une véritable incitation au report modal. Elle n’en sera que plus crédible si elle s’assure du réalisme de sa portée, si elle inclut la nécessité d’un accompagnement. Si la transition n’est pas acceptable, nous échouerons. Si la transition exclut, nous faillirons.
De ce point de vue, nous voyons bien que la sortie des véhicules thermiques pose bien des soucis à la France mais également à l’Allemagne. Nos voisins souhaitent désormais, par l’engagement des constructeurs européens, entrevoir une issue un peu plus favorable.
Ensuite, la baisse de l’intensité carbone pour le secteur maritime et l’obligation d’incorporation de biocarburants dans le transport aérien, comme paliers intermédiaires, donneront à ces secteurs une visibilité sur la trajectoire de décarbonation à tenir. Je regrette néanmoins l’absence de mesures complémentaires pour accélérer le report modal vers le train, notamment par une évolution de la réglementation européenne permettant d'instaurer un prix minimal de vente des billets d’avion.
Enfin, sur le déploiement des infrastructures de recharge pour tous les modes de transport ou le développement des infrastructures, nous avons été au Sénat bien plus ambitieux avec un relèvement des objectifs, qui détonent avec le levier européen de financement des infrastructures qui doit être encore plus fort. Dans ces négociations actuelles du paquet climat, je plaide pour une écologie de l’ambition pragmatique, une écologie à rebours de l’idéologie victimaire, punitive et culpabilisatrice.
Je ne serai pas de ceux qui concourent au prix de vertu écologique. En Europe, comme en France, le sujet n’est pas là. Il est de réconcilier économie et environnement et de conserver une capacité de réforme en matière de développement durable. Donc si l’objectif est de laver plus vert que vert mais de créer encore plus d’inégalités, cela n’a tout simplement aucun sens. Nous devons fixer un cap clair pour engager notre économie dans la transition, accélérer la décarbonation en garantissant l’effectivité des mesures, pour tout simplement que l’écologie et la mobilité verte entrent, enfin, dans nos vies. En formant le vœu, même si la priorité est aujourd’hui aux portes de l’Europe, que la guerre en Ukraine ne dévie pas l’objectif du paquet climat.